Cette exposition se propose de retrouver les passions d’un Roi, Louis XV. La chose n’est pas aisée, malgré archives, mémoires, centaines d’études et biographies, Louis XV reste un personnage mystérieux, insaisissable, souvent incertain, parfois volontaire.
Arrivé à l’âge adulte, il aime la chasse, et, les premières années de son règne, la guerre dont il assume pleinement les conséquences. Pendant la maladie de Metz, août 1744, tant de fois racontée, se voyant mourir à 34 ans, il demande au Comte d’Argenson « Dites au Maréchal de Noailles, que pendant qu’on portait Louis XIII au tombeau, le Prince de Condé gagna une bataille. » C’est à Voltaire, que le propos a dû être rapporté par Argenson. Après la guérison, l’abbé Josset, chanoine de la cathédrale, le qualifie pour la première fois de Bien Aimé

Pour comprendre cette exposition, il faut savoir que le programme iconographique du Versailles de Louis XIV avait été conçu par le Roi sur les propositions de Colbert, Charles Perrault entre autres. Il s’agissait essentiellement de glorifier les conquêtes du roi, en le comparant à Apollon ou Alexandre, jusqu’au fameux « Nec pluribus impar » trois mots latins que personne n’a vraiment su traduire.
Sous Louis XV, tout ceci n’existe quasiment plus si l’on excepte quelques portraits et sculptures officielles, tel le Louis XV en Jupiter de Coustou du musée de Louvre. Préférence est faite au bien-être, à la commodité.
Deux conservateurs du patrimoine, Yves Carlier et Hélène Delalex ont fait merveille en réunissant près de 400 œuvres. La Wallace collection de Londres vient de modifier ses statuts et autorise les prêts. Versailles en profite avec la célèbre commode de la Chambre du Roi, et la grande toile attribuée à Largillière montrant Louis XIV et sa famille. Cette toile célèbre, souvent reproduite, est une sorte de compendium, de « photo montage » puisqu’elle aurait été commandée par Madame de Ventadour, gouvernante des enfants royaux, après la mort du Grand Dauphin, du duc de Bourgogne et de Louis XIV. Magnifiquement restaurée, elle est étonnante par l’impression de naturel qu’elle dégage. Nous avons l’impression d’être présents, face à cette famille, avec l’enfant tenant une balle, qui nous regarde d’un air narquois et amusé.
Même si le décor est imaginaire, avec les bustes d’Henri IV et Louis XIII pour évoquer toutes les générations. Madame de Ventadour voulut-elle prouver à sa descendance sa proximité avec la famille Royale ? Il est vrai qu’elle avait sauvé Louis XV des morts successives et mystérieuses des années 1712 qui ont décimé la descendance directe.

Le duc d’Anjou, futur Louis XV, enfant tenu en lisière par Madame de Ventadour, le Grand Dauphin, Louis XIV, le duc de Bourgogne.
Attribué à Nicola de Largillière, (1656 – 1746) vers 1715, huile sur toile.
Wallace Collection, Londres. © Wallace Collection

Quelle belle sérénité et bonne entente se dégage de cette scène qui n’en est pas moins mêlée de solennité. Elle laisse l’impression qu’il s’agit d’un moment de détente après une cérémonie de l’ordre du Saint Esprit, puisque l’on aperçoit 2 grands cordons et les croix du Saint Esprit. Même l’enfant porte le Cordon bleu alors qu’il ne le reçut qu’au lendemain de son sacre en 1722. Dans l’atelier de Largillière, plusieurs peintres semblent avoir travaillé à cette toile. On admire le naturel du châle rouge délaissé sur le tabouret, la très belle nature morte avec la corbeille de fruits d’automne en vermeil et le vase de Delft, la vivacité des deux chiens, le réalisme amusant de leurs jeux. L’harmonie des couleurs est très équilibrée, les peintres, ils étaient certainement plusieurs, ont su créer cette atmosphère de sérénité.
Découverte inattendue et émouvante, ce prêt d’une collection particulière, un tableau mécanique du Père Sébastien qui fait apparaître successivement quatre scènes de l’éducation de Louis XV : les leçons de danse, d’escrime, de science et de chasse.

Tableau mécanique : L’éducation de Louis XV, la leçon de danse,
attribué au Père Sébastien. Collection particulière. © DR

C’est peut-être l’unique machine restante du Père Sébastien, (1657 – 1729). Toute sa vie, ce Carme a multiplié les inventions très diverses, particulièrement dans la mécanique. Il avait imaginé pour Louis XIV un théâtre miniature avec 5 changements de décors à vue qui était dans un salon de Marly. Le maréchal de Villeroy, Gouverneur de Louis XV, si méchamment décrié par Saint-Simon inféodé au Régent, a fait visiter plusieurs fois à Louis XV les collections de machines et pièces mécaniques de Louis Pajot d’Ons en Bray, intendant des Postes, qui étaient réunies dans sa maison, au-delà du faubourg Saint Antoine. C’est peut-être là qu’eut lieu la rencontre avec le père Truchet, qui a imaginé pour le roi ce tableau mécanique.
Vers quelle date ces 4 tableautins ont-ils été peints ? Certainement, après que Louis XV a passé aux hommes, le 15 février 1717. La taille du roi donne l’impression qu’il n’a pas encore dix ans, donc, nous serions entre 1717 et 1719.

Ce rez-de-chaussée des Tuileries semble imaginaire, les personnages qui assistent à la leçon aussi, même si l’on peut deviner Claude Balon qui se tient très droit, sans opposition des bras, donc, sans donne l’exemple d’un pas de danse. Il s’agit plus d’une leçon de maintien, d’autant plus qu’il n’y a aucun musicien. Petite révérence à faire devant les Dames, esquisse des premiers pas de danse, apprendre à placer les pieds en dehors, c’est plus beau… on devine les conseils, on croit entendre Balon.
Louis XV enfant a toujours été maladif et fragile. À six ans, il est promené aux Tuileries d’après Buvat, « dans une chaise roulante poussée par huit suisses. » Ce n’est qu’à la veille de ses 7 ans, le 13 février, qu’on retire les lisières avec son consentement et celui de la duchesse de Ventadour qui écrit : »Le Roi se tient trop droit et marche si sûrement que je n’ai pas dessein qu’on les lui remette. » A dix ans, Louis XV est toujours enfant, comme le remarque Saint Simon :  » Le roi avait dix ans, mais élevé et tenu de façon qu’il était encore bien plus jeune que son âge » lorsqu’il raconte le fameux soufflet que Louis XV avait donné à l’un des gentilshommes de la Manche, le chevalier de Pezé.
Le roi reste de santé fragile. En août 1721, il est malade, gravement d’après les journaux. Dès sa guérison, il écrit au cardinal de Noailles : « Je viens de recevoir une nouvelle marque de la protection de Dieu dans la maladie courte mais dangereuse dont la Providence m’a tiré. »
Ces faits nous aident à comprendre que Louis XV n’a jamais vraiment aimé danser, alors que dès 1715, Louis XIV avait nommé Claude Balon son « Maître à danser ». Balon a imaginé des chorégraphies pour le roi. Ainsi, a été publiée dès 1716 la célèbre Gavotte du Roy pour quatre danseurs. A-t-elle été dansée par le roi ou devant le roi ? Pierre François Dollé qui a reconstitué cette Gavotte avec tout le talent que nous lui connaissons et moi-même proposons la deuxième solution.
Pour le carnaval de 1720, le roi danse aux Tuileries les airs de violons de La Lande. La partition précise « Premier Ballet dansé par le Roy » pour le Carnaval de 1721,
D’importantes peintures sont réunies. Venue de la petite demeure de Sanssouci, l’Assemblée dans un parc de Jean François de Troy magnifie ces vastes robes en soie. Les peintres français étaient recherchés en Europe. Dans les Lettres admirables écrites en suédois par Tessin au futur Gustave III à la demande de sa mère, Louise-Ulrique de Prusse, publiées en français en 1755, on trouve une initiation à la peinture française, pour un futur roi âgé de 5 ans, dans la lettre 26 datée du 1er juin 1751 : « Les ouvrages de l’École Françoise portent l’empreinte du génie & de la vivacité de cette nation. {…} Le François voit tout avec des yeux qui ne respirent que le plaisir & la joie ; tout agit, tout rit, tout joue dans ses ouvrages, & c’est ce qui fait que l’ordonnance est gracieuse, riante & bien inventée. »
Grande importance est réservé à l’art rocaille, que l’on met à toutes les sauces, même les plus indigestes. Cet art ne plaisait pas à tout le monde et a été décrié. Souvenons-nous de Grimm qui écrivait à 34 ans dans sa Correspondance littéraire du 15 octobre 1757, à propos du portrait de Mme de Pompadour par Boucher aujourd’hui à Munich : « Détestable par la couleur, il est si surchargé d’ornements, de pompons, et de toutes sortes de fanfreluches qu’il doit faire mal aux yeux à tous les gens de goût. »
C’est très excessif et prépare le retour vers l’atticisme. Curieusement, les sculptures de ce même salon ne retinrent pas son attention, alors qu’était exposé le si bel Amour assis au bord de la mer de Vassé, sculpteur trop méconnu, célèbre surtout par le mausolée de Stanislas Leszczynski dans L’église Notre Dame de Bon secours de Nancy.

L’Amour assis au bord de la mer rassemblant les colombes du char de Vénus, Louis Claude Antoine Vassé, (1616-1672), 1757, Musée du Louvre, © RMN Grand Palais

Le Louvre a prêté cet Amour, et l’on reste stupéfait devant la délicatesse des lignes, la pureté des formes, taillées dans la tendresse d’un marbre dur. Les proportions sont idéales, le carquois est posé à terre pour permettre la saisie des colombes que l’on aperçoit dans chaque main. La piété du Roi, si négligée dans les biographies n’est pas oubliée : parmi les vases sacrés, un très beau livre, relié en maroquin avec dorures sur les plats aux armes du roi : celui des Offices de la Semaine sainte.
Les conservateurs insistent avec raison sur l’intérêt, peut-être même la passion que Louis XV portait aux sciences et aux techniques en évoquant longuement le Cabinet de physique et d’optique de Louis XV du château de la Muette. Abondance d’appareils : machine électrostatique, le microscope tripode de Louis XV, acquis par Versailles en 2021, gravures de télescopes, globes mouvants célestes et terrestres…
La célèbre pendule astronomique de Passement est mise à l’honneur dès l’entrée de l’exposition.

Pendule astronomique de Louis XV, H. 226 cm, L. 82,2 cm, pr. 53 cm
© Château de Versailles, © C. Fouin

Elle vient de délivrer quelques-uns de ses secrets explique Hélène Delalex responsable de sa longue restauration. Née à Gex, Hélène a l’horlogerie dans ses gènes, et déplore comme votre serviteur que les pendules soient en voie de disparition. Pour le moment, seul l’écrin en bronze doré a été restauré. La pendule est à l’arrêt en attendant le retour dans les ateliers des Musées de France au Louvre pour une restauration complète de ses mécanismes qui s’annonce longue et difficile. C’est très compliqué, recopions le dossier de presse : au-dessus, « la sphère mouvante abrite un planétaire représentant le système solaire héliocentrique.
Le cadran donne l’heure, la minute vraie (solaire) la minute moyenne et la seconde : la pendule marque ainsi l’équation du temps. Les guichets du calendrier affichent les jours de la semaine, le quantième, le mois et le millésime de l’année jusqu’en 9999 , en tenant compte des années bissextiles. Le disque tournant indique les phases ou âges de la Lune. »
Cette exposition est le pendant de celle organisée en 1974 par Pierre Dehaye à la Monnaie de Paris dont il était l’administrateur : Louis XV un Moment de Perfection de L’art Français. Elle évoquait tout, même la danse. J’étais étudiant et Serge Lifar m’avait demandé de l’aider à écrire son texte pour le catalogue qui était d’une qualité exceptionnelle. 48 ans plus tard, arrive Louis XV, passions d’un roi, de la manière la plus naturelle, aucun incident de passation, aucune anicroche. Une réussite de plus pour Laurent Salomé, qui fait tant regretter l’époque pas si lointaine où le château n’était pas un « Établissement Public », ce qui éviterait au moins toutes ces pendeloques électriques qui défigurent la chapelle. N’oublions pas qu’elle n’a jamais été exécrée.

Château de Versailles, jusqu’au 19 février 2023
Réservation : chateauversailles.fr
gratuit pour les – de 26 ans de l’Union Européenne

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