Editorial du n° 364

Merci à tous ceux qui nous ont aidés

 

Une de plus, entendez une année de plus ; voilà 35 ans que Danse devenu Danser, existe.
Tout n’a pas été facile, bien au contraire, mais les unes après les autres, il a toujours été possible de résoudre les difficultés. 35 ans après, nous ne ressentons ni fierté, quel mot ridicule, ni orgueil, ni honte, ni regret. Les choses ont été comme ça, c’est tout ; le destin n’a pas voulu qu’il en soit autrement.
Nous devons d’abord dire toute notre reconnaissance à ceux qui nous ont aidés, ils sont nombreux ! Pour ne pas vexer ceux que l’on aurait oubliés par étourderie, nous ne les citerons pas. La liste est longue, très longue, sans eux, nous n’existerions pas. Que ce soit du côté des photographes, Michel Lidvac et Francette Levieux en tête, de celui des rédacteurs et des lecteurs, si passionnés par la danse, nous avons réussi à faire un bon bout de chemin ensemble. Même si le parcours était parfois dangereux, nous avons toujours été du côté de ceux qui servent la danse, en évitant le contact avec ceux qui se servent de la danse.
Nous avons souhaité la recherche du beau dans la danse, enhardis par cette proposition attribuée à tort à Platon que le beau est la splendeur du vrai. Il y aurait donc un beau idéal, des proportions idéales ? Depuis Platon, Aristote, Vitruve, Saint Augustin, Alberti, Léonard de Vinci, chacun essaye, sans y parvenir, de répondre à ces questions. Mais qui peut nier qu’il y a dans cette recherche un phénomène de transcendance, un je-ne-sais-quoi qui dépasse l’entendement ?
Merci aux grands pédagogues qui nous aident depuis toujours pour nous faire mieux comprendre la danse : Juan Giuliano, Claudette Scouarnec et l’équipe de l’Association des Maîtres de danse classique, Dinna Bjørn, Eric Viudes, sans oublier Gilbert Mayer : comme les grands professeurs de médecine, il se souvient avec précision de chaque grand danseur qu’il a fait travailler, de ses défauts, qu’il a émondés, de ses qualités qu’il a transfigurées. Irremplaçable expérience.
Nous avons toujours essayé d’être auprès des uns et des autres, ce qui a fait naître de solides liens d’amitié ; je pense à Monique Elgueta, fondatrice du concours de Danse de Biarritz, à Jean Michel Mennessier, si excellent et courageux professeur de danse, fidèles abonnés depuis le numéro 1 ! Nous avons eu la chance de suivre la carrière d’Étoiles exceptionnelles, Monique Loudières, Agnès Letestu, Paola Cantalupo, qui se dévoue corps et âme pour la bonne renommée du PNSD de Cannes et aujourd’hui Ludmilla Pagliero, Léonore Baulac, en attendant les prochaines nominations…
Ces quelques mots reçus d’une fidèle lectrice, Danièle Lhoir, sont pour toute l’équipe de Danser la plus belle récompense, « Le soleil rentre dans la boîte à lettres avec votre magazine ! ».
Est-il vraiment possible de regarder la danse ? Une fraction de seconde, et tout disparaît. Le feu laisse des cendres, la danse, rien. Comment la faire renaître ? Par la transmission. Sans égoïsme, avec patience et enthousiasme, proposer à d’autres d’accomplir ce que l’on a si bien fait. C’est ce que réussit Nina Ananiashvili avec tant de succès en Géorgie. Nina, si pleine de tendresse, amie délicate et fidèle, pour qui j’ai tant d’admiration, qu’elle soit la bonne marraine de ce 35e anniversaire.
Nous avons compris que pour la danse classique, les ressentis des spectateurs face aux danseurs sont les mêmes sur tous les continents : chinois, brésiliens, européens, américains, japonais ont la même admiration pour un beau port de bras, et la même déception agacée lorsque s’y mêle affectation, insincérité, balourdise, lourdeur, gaucherie.
D’une manière un peu naïve, nous nous sommes engagés avec enthousiasme dans cette recherche du beau à l’automne 1984. Très vite, de toutes parts, des messages de prudence nous mettaient en garde, nous indiquaient que nous étions en porte à faux face à la politique culturelle qui finançait l’exact contraire. On fermait les compagnies classiques des Opéras, on ouvrait dans des lieux bizarres, des compagnies dites « contemporaines ».
À partir de ce moment tout n’a été qu’artifices et faux-semblants. Alors, il m’a fallu poursuivre cette vie de vagabondage entreprise pendant mes études universitaires : Copenhague, Hambourg, Stuttgart, New York, Bâle, Milan, Zurich, Naples, Oslo, Rome… Le bonheur fut grand lorsque je compris que les lecteurs restaient fidèles, semblaient intéressés. Les parutions se poursuivaient, les ventes augmentaient, et nous sommes arrivés en 2013 où nous avons repris le titre Danser après la liquidation judiciaire de la seule et unique Société Anonyme, « Société de Publications et d’Éditions Réunies » qui l’éditait depuis le numéro 1 publié en avril 1983. Dans le dernier bilan connu, arrêté au 31 décembre 2010, les commissaires au compte indiquaient un total des déficits qui se montait à 4 167 796 €, auxquels il convient d’ajouter les pertes de janvier 2011 à septembre 2012, lorsque la SPER était gérée par les éditions Desclée de Brouwer. Je ne connaissais pas l’équipe de la publication, très vieillissante me disait-on et, par manque de compétence, maîtrisant gauchement les problèmes de la danse et de son histoire. Les liquidateurs judiciaires m’ont expliqué que l’ancienne équipe ne souhaitait pas poursuivre l’activité, malgré les diverses solutions qu’il était facile de mettre en route. Je me suis donc sacrifié pour sauver le titre.
Il y a eu pas mal d’épisodes et de rencontres intéressantes. Par exemple, en 1990, je reçois un coup de téléphone de la secrétaire de Jean-Jacques Annaud qui me demande de le retrouver sur les Champs-Elysées. Il m’explique que le Comité d’organisation des Jeux Olympiques d’Albertville lui propose de réaliser le spectacle d’ouverture et me demande le nom d’un metteur en scène ou chorégraphe qui pourrait l’aider. Je lui propose Philippe Decouflé, parce qu’il avait fait l’école du cirque d’Annie Fratellini et avait la réputation d’être inventif. L’année suivante, Jean-Jacques Annaud m’annonce que son projet n’a pas été retenu, et que seul Philippe Découflé a été gardé pour faire quelque chose de moins cher. Ironie du sort, je n’ai jamais eu l’occasion de voir un spectacle de Philippe Découflé ; peut-être est-il en retraite aujourd’hui ?
À grandes enjambées, voici, en trois périodes, l’histoire de la danse telle que je l’ai vécue depuis mon enfance.
La première s’arrête brusquement en 1963. Date historique, elle marque la fin de plusieurs siècles de mauvaises habitudes. Des jeunes ballerines, parfois poussées par les parents, comme au temps de Degas, étaient abusées, sordide solution pour entrer dans une compagnie. Madame Geneviève Guillot, nommée directrice de l’École de Danse de l’Opéra en 1963, a mis définitivement fin à ces méchantes mœurs.
La deuxième est celle où le pouvoir était entre les mains du clan de quelques danseurs communistes, ce qui était à l’époque une qualité recommandée sinon nécessaire pour réussir. Roland Petit et Maurice Béjart étaient tolérés avec un certain mépris, mais pas aidés.
C’était l’époque où Michel Descombey dirigea le Ballet de l’Opéra de Paris jusqu’en 1968. Les danseurs, se produisaient à la Fête de l’Humanité, toujours défrayés. Les syndicats régnaient en Maître, quitte à se substituer aux Maîtres de danse. On savait que certains fricotaient avec le KGB, prolongeaient mystérieusement leurs séjours en Russie. Qu’en était-il exactement ? Tant que les archives du KGB ne seront pas publiées, personne ne saura ce qui s’est effectivement passé.
La troisième commence après la chute du mur de Berlin, et celle de l’URSS.
Tous ceux qui me faisaient les gros yeux parce que j’écrivais Saint Pétersbourg au lieu de Leningrad et Théâtre Marie au lieu de Kirov retournaient leur veste avec la célérité d’un prestidigitateur.
C’est à ce moment que la danse commença à dépérir en France par l’insignifiance de ceux qui avaient à la régir. Elle fut confisquée par des « supplétifs » souvent malhonnêtes, au sens pénal du terme, qui s’installaient eux-mêmes aux commandes, en écartant les uns et écrasant les autres.
Le déclin était inévitable. Qu’il est triste de savoir que ces personnages se disent tous les matins, « Je ne me suis installé dans la danse que pour la détruire. » Ils enjambent sans remords les cadavres de ceux qu’ils ont poussés au suicide.
C’est à partir de 1984 que l’on a eu l’idée saugrenue mais assez pernicieuse et méphistophélique d’inventer des robots chorégraphes. On installait, au centre d’une association loi 1901 de droit privé, un robot, sans intelligence artificielle, elle n’existait pas à l’époque, et on le mettait en marche, avec un minuscule programme. Seul un croquis pourrait permettre de comprendre. Par chance, un Gilet Jaune vient de me l’envoyer !
Notre robot, comme le décrivirent les romans d’anticipation du début du vingtième siècle, se révèle plus fort que l’homme, et finit par le détruire. C’était facile à prévoir, ses concepteurs affirmant sur le mode d’emploi, qu’il a toutes les qualités : danseur, chorégraphe, peintre, poète, musicien. Par la suite, les utilisateurs pris au piège s’aperçoivent que ce n’était que publicité mensongère. Trop tard, rien n’arrête l’envahissante propagation de notre robot : il se gonfle, n’éclate jamais, veut tout, prend tout, envahit tout. On ne peut même plus le voir tant il est recouvert de médailles diverses et variées.
Quiconque à l’audace de s’étonner voit se dresser devant lui un Procureur de la République complice de l’affaire, un Maire naïf et illettré, parfois, comme c’est amusant, un vieux général godillot vulgaire et aviné copinant avec la crapulerie. Malgré tout, rien n’est jamais suffisant pour notre robot.
Comme il n’a pas d’intelligence artificielle, il s’emballe, espère pour ses arguments de ballet, le prix Nobel de Littérature, et, c’est un secret bien gardé, il attend avec la fierté des niais l’ultime hommage, il lui a été promis, le plus tard possible quand même… le Panthéon. Michel Odin

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