Ghislaine Thesmar, Michaël Denard, La Sylphide, ph. Francette Levieux

 

C’est le récit fort riche de sa vie tant familiale qu’artistique que nous offre l’une des plus belles et intéressantes danseuses étoiles de l’Opéra de Paris, Ghislaine Thesmar, à travers ses mémoires « Une vie en pointes » qui vient de paraître aux éditions Odile Jacob.

 

Ce livre de près de trois cents pages retrace l’intégralité de son parcours exceptionnel en commençant par une longue partie consacrée à sa famille. On y découvre une enfant puis une adolescente baignant dans un milieu diplomatique huppé, confrontée très jeune à la fois à la solitude et à la richesse des découvertes, développant sans cesse des capacités d’adaptation et un imaginaire salvateur.

 

De Pékin à Mohammédia au Maroc, en passant par Cuba, Jakarta, Bombay, la jeune Ghislaine développe un monde intérieur peuplé de rêves et d’évasions. Enfant unique, elle raconte les relations difficiles avec sa mère. Dès la première page de l’ouvrage, elle explique qu’elle était un enfant « de remplacement » : celui qui aurait dû être son frère aîné est mort pendant sa naissance alors que le port de Shangaï où résidaient ses parents était bombardé par les Japonais. Sa mère ne put, visiblement, jamais se consoler d’avoir perdu son fils. Ghislaine, en revanche, admirait sa mère, mais elle comprit vite que « tout rapprochement paraissait inutile » avec cette mère qui vivait « pour sa beauté, pour l’admiration que lui vouait mon père et pour le regard des autre », un comportement dont elle devait hériter plus tard, avoue-t-elle, et qu’elle a cultivé dans sa vie profesionnelle. « Chacune de nous eut son public et fit en sorte d’attirer les projecteurs sur elle ».

Michaël Denard, Ghislaine Thesmar,  La Sylphide, ph. F. Levieux

Sa passion pour la danse se révèle une nuit d’hiver de 1957 à Fédala, ville marocaine au bord de l’océan. Elle a alors quatorze ans. Elle assiste à la projection en kinopanorama de quatre films en couleur proposés par l’ambassade d’Union soviétique restituant l’intégralité de grands ballets (Le Lac des cygnes, Les Sylphides, Roméo et Juliette, Légende d’amour) avec notamment Galina Oulanova. Cet événement la marquera à tout jamais. Sa vie fut désormais habitée par la magie indicible liée au ballet.

 

Ghislaine Thesmar retrace alors sa formation au Conservatoire national de Paris qui était situé, à l’époque, rue de Madrid. Lors du concours d’entrée, alors qu’elle avait quinze ans, un membre du jury fut sidéré par sa personnalité, sa présence, son potentiel et prédit qu’elle serait un jour une étoile. C’était Pierre Lacotte, alors danseur à l’Opéra de Paris et qui deviendra par la suite son mari, en 1968. Dès sa sortie du Conservatoire, s’enchaîneront les contrats avec les Grands Ballets du Marquis de Cuevas, les Jeunesses musicales de France avec Pierre lacotte, Marie Rambert à Londres, Les Grands Ballets canadiens, et les nombreuses rencontres qui en découlèrent : Noureev, Skibine, Lifar, Roland Petit, Nijinska… et le partenariat unique avec Michaël Denard qui fut un atout majeur dans sa carrière. Cette vie de passion et de bohème lui permis de connaître de nombreuses scènes à travers le monde et d’enrichir son expérience. Son parcours prit une nouvelle tournure avec la renaissance de La Sylphide.

 

Le chapitre consacré à cet épisode dévoile le rôle essentiel que Ghislaine Thesmar joua dans cette aventure. C’est elle qui poussa son mari à s’intéresser aux grands ballets romantiques et à leur transformation depuis leur création. Mais surtout, c’est une coïncidence des plus intéressantes qui a porté l’attention du couple sur La Sylphide. Dans leur recherche, ils retrouvèrent une correspondance relatant le voyage du médecin militaire et poète Victor Segalen en Chine accompagné de son ami Augusto Gilbert de Voisins, petit-fils de Marie Taglioni. Or, il se trouve que les grands parents de Ghislaine Thesmar avait bien connu la famille Segalen lorsqu’ils résidaient à Tientsin en Chine, Joseph-Marie Thesmar étant alors le représentant de la banque d’Indochine dans cette ville du Nord-Est de la Chine. Cette découverte leur donna accès, par les descendants de Victor Segalen, aux archives, affaires et documents de Marie Taglioni, un véritable trésor!

 

Ayant été associée à la renaissance du ballet légendaire, Ghislaine Thesmar explique qu’elle avait assimilé le rôle de la Sylphide au fil des recherches de son mari; elle avait acquis les références historiques et compris l’état d’esprit de l’époque. C’est pourquoi elle voulut traduire en dansant tout ce qu’elle ressentait dans une œuvre qui lui était devenue familière. Elle décrit avec beaucoup de précision et d’intérêt sa démarche artistique et technique. Les pages 165-166 du livre sont parmi les plus intéressantes, car au-delà de la richesse de ses rencontres et de son parcours relatés dans ces mémoires, la danseuse livre là sa vision d’artiste et décrypte sa situation de muse. Créatrice et emblématique Sylphide, Ghislaine Thesmar restera pour toujours la révélation et la référence dans ce ballet qui lui ouvrira les portes de l’Opéra de Paris, accédant directement au rang d’Etoile en 1972 à trente ans.

Ghislaine Thesmar, La Sylphide, ph. F. Levieux

Ghislaine Thesmar, La Sylphide, ph. F. Levieux

Les chapitres suivants relatent sa carrière dans l’institution parisienne où elle est constamment sollicitée par les grands chorégraphes tels que George Balanchine, Jerome Robbins, Roland Petit, Maurice Béjart… Elle sillonne le monde lors de nombreuses tournées, et s’attarde sur ses liens avec la Russie et l’Argentine. Elle raconte ses rencontres avec des personnages emblématiques tels qu’Alicia Alonso, ses prises de rôles dans la version de Coppélia remontée par Pierre Lacotte ou le Lac des cygnes avec Rudolf Noureev. On aurait d’ailleurs aimé qu’elle approfondisse sa vision artistique de ces rôles. Un autre passage particulièrement intéressant relate une de ses plus belles répétitions avec Balanchine dans Jewels. Là encore, le lecteur peut apprécier toute la richesse de la démarche artistique.  Après sa carrière de danseuse, Ghislaine Thesmar s’est consacrée à la transmission,  notamment auprès des jeunes artistes talentueux de l’Opéra de Paris. Elle explique toute la satisfaction qu’elle en a retirée.

 

Dans ce livre, Ghislaine Thesmar exprime avec conviction tout le bonheur qu’elle a ressenti à travers la danse et la scène : « posséder l’espace, la lumière, arriver à une sorte d’état de grâce qui permet un échange magique avec la musique et la présence du public ».  Cette force vitale, cette passion, cette volonté, Ghislaine Thesmar les a partagés de manière exceptionnelle tout au long de sa carrière avec le public et aujourd’hui à travers ce livre. Tous ceux qui ont eu la chance de pouvoir l’admirer partageront les deux très belles lettres d’Edmonde  Charles-Roux (1985) et de Gérard Depardieu (2017) reproduites au début et à la fin de l’ouvrage qui célèbrent la dimension extraordinaire de cette grande Etoile. Blandine Pellistrandi

Éditions Odile Jacob, 22,90 €

 

 

 

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2 Comments

  1. Guy Vanet dit :

    Je reviens sur mon premier message… sur la seconde photo plutôt avec Rudolf Noureev, et dans Giselle, non pas la sylphide!

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